Articles
16 août 2024
Pourquoi je me sens coupable de dire «Non» à des demandes ?
Combien de fois nous sommes-nous retrouvés face à une proposition qui, nous le savions parfaitement, ne nous faisait nullement envie, pour toutefois nous surprendre quand même à voir ces trois lettres mises ensemble sortir de notre bouche : O.U.I. ? Un mot, échappé, qui prend parti pour nous et qui planifie le reste de notre journée.
Pour comprendre, je vous invite à mettre votre jugement de côté et à évaluer, au-delà du visible, ce qu’il se passe lors d’une situation qui nous pousse à agir d’une façon non souhaitée.
Étymologiquement, le mot culpabilité provient du latin « culpabilis », lui-même issu du terme « culpa », signifiant faute. Pour toute personne qui s’identifie dans le titre de cet article, cela signifierait qu’une partie d’elle a l’impression de commettre une faute quand elle dit « non ». Lorsque nous entendons « non », nous percevons l’écho d’un refus, d’une porte fermée, d’une contradiction, d’une opposition, d’un conflit (quel mot terrifiant !). Il est donc naturel de ne pas se sentir enthousiaste à l’idée de l’utiliser. Comment alors ne pas créer une allergie au non, mot qui semble rattaché à la pancarte « à éviter » et auquel on attribue tant de pouvoir ?
Et si je remontais à ma mémoire émotionnelle, la mémoire historique que j’entretiens avec le « non » ? Combien de fois, enfant, lorsque j’ai dit « non », me suis-je senti entendu(e), compris(e), considéré(e), légitime auprès de la famille censée m’aimer d’un amour inconditionnel ? Et si cette mémoire me parlait et orientait ma réponse ? Ai-je envie de faire vivre ce vécu à une autre personne que j’apprécie ? Non, donc je dis « oui ».
Un monde en deux parties
Que dire du monde dichotomique, noir ou blanc, sans nuances, dans lequel nous vivons, où la notion de continuum est souvent oubliée et où, trop souvent encore, nous cherchons à savoir qui a tort et qui a raison ? Le oui renvoie à l’ouverture, au positif, à la générosité ; le « non », à tout le contraire. Le choix semble clair. Mais entre les deux, qu’existe-t-il ?
J’aime me questionner sur l’invisible, sur ce qui n’est pas accessible tout de suite et qui, pourtant, est bien présent. Il est vrai que nous cherchons à éviter le conflit. Pourtant, nous ne réalisons pas qu’en disant « oui », nous évitons UN type de conflit. Nous évitons le conflit externe avec la demande d’autrui (visible), mais alimentons un conflit interne avec nous-mêmes et notre vécu intérieur (invisible). Nous fuyons l’inconfort à court terme et nous y restons coincés à long terme. Est-ce vraiment une stratégie, ou bien une punition retardée ? Ce conflit externe ne pourrait-il pas être perçu comme deux idées différentes qui ne s’affrontent pas, mais plutôt se présentent ? Ne pourrait-on pas sortir de cette adversité de qui l’emportera (Le Oui ? Le Non ?) et plutôt proposer un ajustement, une passerelle entre les deux ?
Triste constat, mais pourtant bien réel : nous sommes dans une société qui donne plus d’importance au visible, à ce que l’on voit, à ce que l’on dit, plutôt qu’au vécu intérieur. Nous avons fini par déplacer notre estime et notre sentiment d’être aimé à l’extérieur de nous, dans les mains d’autrui. Nous cherchons à plaire, à correspondre à ce que nous pensons que l’autre attend de nous et nous restons prisonniers et esclaves de cette validation externe. Et si ce « oui » était un symptôme de notre peur de ne pas être aimés tel que nous sommes vraiment ? De notre peur de connaître ce rejet qui fait si mal, de ne pas faire plaisir, de fermer la porte à un ami qui nous fait une demande ? Mais ce lien d’amitié est-il si fragile qu’il serait menacé si je disais non ? Ce lien d’amitié est-il davantage sécurisé si je dis « oui » alors que je ressens « non » ? A-t-il davantage de chance d’être préservé dans le temps si je fais semblant d’être une personne que je ne suis pas, plutôt qu’en étant qui je suis ?
« Nous fuyons l’inconfort à court terme et nous y restons coincés à long terme. Est-ce vraiment une stratégie, ou bien une punition retardée ? »
Au delà du « Non »
Et si la réponse se situait davantage dans la relation que nous entretenons avec nous-mêmes que dans le « non » ? Nous avons tous connu cette personne hors du cercle amis/ famille qui nous propose quelque chose à manger. Si nous avons grandi avec l’idée que recevoir ou accepter quelque chose peut déranger, on se surprend alors de notre facilité à dire « non » ; aisance qu’on aurait bien voulu avoir vendredi soir, lorsque cet ami nous a texté pour une soirée qui ne nous tentait pas. Ce n’est pas le « non » qui nous fait sentir mal, mais comment nous le percevons, ainsi que l’histoire que nous nous racontons lorsqu’on nous fait une demande : « elle sera déçue, il ne va pas apprécier, elle va me trouver égoïste, etc. ». Contaminé(e) par mes propres peurs, je les projette sur autrui, en ignorant qu’elles me trahissent: « J’ai peur de le/la décevoir, je me sens mal quand je dis non, je me trouve égoïste ». Nous nous sentons responsables du malaise causé à celui qui reçoit notre « non ». Pourtant, à quel moment ai-je été défini(e) comme le/la gardien(e)s du bien-être des autres quand je ne suis même pas capable de préserver le mien ?
Au-delà du premier contact antipathique, le « non » cache ses facettes merveilleuses lorsqu’on apprend à le côtoyer. Alors que le « oui » dépense des ressources limitées que chacun de nous possède – temps et énergie -, le « non », lui, les préserve. Ce oui qui dit « non » et ce non qui « oui »… Si nous en avions conscience, notre réponse serait-elle différente à la question : « Veux- tu (consacrer ton temps et ton énergie pour) venir à ma soirée vendredi soir ? ». Et si nous commencions par ouvrir les yeux sur la face cachée de ce oui qui sacrifie nos ressources à nos dépens ?
Et si je prenais un peu de perspective pour m’apercevoir que lorsque je dis « non », je dis « non » à une idée, à une proposition et non pas à une personne, à son individualité. Si je prenais la responsabilité de mes propres émotions, peut-être rendrais-je alors l’autre responsable aussi des siennes ? Si je donnais autant d’intérêt, de flexibilité et d’ouverture à mon besoin qu’à la demande d’autrui ? Si je commençais par créer un monde plus nuancé, où existeraient des alternatives au « oui » et au « non » ? Si j’assumais une position inconfortable, mais qui est la mienne ? Si nous changions de regard envers ce « oui » qui coûte et épuise et ce « non » qui protège, et que nous construisions une nouvelle mémoire émotionnelle basée sur le respect de soi et de notre temps, ainsi que sur l’honnêteté envers nous-mêmes et envers nos amis, nous sentirions-nous coupables ou bien capables de dire « non » ?
En espérant que vous aurez la curiosité de le découvrir.
—
Cet article a été rédigé par notre contributrice, Paula Veenstra, psychologue et autrice. Vous souhaitez soutenir notre organisme comme commanditaire en vous impliquant dans la création de contenu à impact positif ? Contactez-nous à phi@popuplab.ca
Illustration de couverture : Johan Papin
Révision texte : Marion Bogos
Animation : Josianne Lacroix
Références
1 • The Art Of Saying NO: How To Stand Your Ground, Reclaim Your Time And Energy, And Refuse To Be Taken For Granted (Without Feeling Guilty!) • (2017) de Damon Zahariades
2 • « Les bienfaits de dire « non » – HuffPost
3 • « Pourquoi est-ce si difficile de dire « non » au travail? » – Radio Canada
4 • Titanic (1997) – Un des thèmes sous-jacents du film est la lutte de Rose contre les attentes sociales et familiales. En osant dire « non » à cet avenir préétabli, Rose s’autorise à explorer sa véritable identité. Le film met en lumière la libération personnelle et l’épanouissement qui peuvent découler du courage de refuser les attentes imposées par les autres, la pression sociale et de choisir sa propre voie.